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Chapitre douze : Dianashera

 

Jian monta sur la grande mezzanine et fut accueilli par une femme, grande et mince, habillée d’un uniforme de soldat retaillée à ses mesures féminines. Les hommes du clan présent sur la mezzanine la regardaient avec respect et crainte et Jian comprenait pourquoi ; Jamais il n’avait vu une femme comme elle. Sa beauté n’avait d’égal que sa prestance et elle semblait tout aussi dangereuse.

« Soit le bienvenu au quartier général du clan du dragon, envoyé de Vere Celibel. Je suis leur chef, Dianashera mais tu peux m’appeler Diana. »

Jian se reprit et se présenta

« Jian Bel’Gan, envoyé comme promis par les cinq chefs de Vere Celibel pour se mettre à votre service et remplir cette mission conjointe. »

Diana tiqua quand Jian prononça son nom mais elle continua comme si de rien n’était, ce que Jian apprécia, après tout le remue-ménage que ça avait causé en bas. Elle l’invita à s’assoir dans un grand fauteuil éliminé et leur fit servir à boire.

La mezzanine était vaste mais seuls quelques fauteuils disposés en arrondis et une table basse au centre faisaient office de décoration. De grands chandeliers avaient été allumés et disposés près d’eux et Jian put distinguer deux portes sur le mur du fond.

« Le voyage s’est-il bien passé ? Mes guides vous ont été utiles j’espère ?

- Tout s’est bien déroulé et je vous remercie de nous avoir envoyé Marten et Siman qui se sont révélés d’excellents guides et compagnons de route. »

La jeune et jolie Kuvraks, que Jian avait entraperçut monter à leur arrivée, leur servit à boire et plusieurs plats débordants de viandes et de fruits. Elle s’en alla ensuite, suivie par les hommes du clan. Jian put remarquer que le grand Kuvraks émit quelques réticences à les laisser seuls mais  Diana le fixa et il finit par s’en aller sans un mot.

« Bel’Gan…voici des années que je n’ai plus entendu ce nom…savais-tu  que Korven l’avait rendu tabou dans cette capitale ? Si bien que la famille de ton oncle ne pouvait même plus s’approcher de la ville, c’était d’un ridicule ! Il a fini par lever ce tabou afin de se réconcilier avec eux…Ton cousin Ichkan est d’ailleurs en ce moment même dans la capitale.  »

Jian n’avait rien à répondre…Il n’avait plus entendu parler de la famille de son père depuis des années et il n’avait qu’un très vague sourire de son cousin mais il doutait fort que son oncle ai pu oublier si facilement sa défaite pendant la rébellion ni pardonné l’assassinat de son frère…

Pendant qu’il réfléchissait, Diana le regardait intensément, presque à le faire rougir mais elle sourit et une grande tendresse se montra sur son visage

« Tu ressembles beaucoup à ton père. »

Elle sirota son vin puis continua, plus espiègle.

« Mais tu es un Kuvraks maintenant. »

- Pardon ?

- Cette mèche de cheveux noué d’un anneau rouge n’est-elle pas le symbole du guerrier Kuvraks ? »

Instinctivement, Jian passa sa main sur sa nuque. Contrairement aux Kuvraks qui portaient volontiers les cheveux longs, Jian préférait les garder court. Seule faisait exception la petite mèche de cheveux qui descendait dans son cou et dont le lien avait été placé par son maitre entraineur. C’était le signe qu’il avait passé avec succès tous les tests et qu’il était désormais un guerrier accomplis, prêt à servir la cité.

« Je reste un humain. »

- Humains, Kuvraks, quelle importance finalement ? Tu es envoyé par Vere Celibel, c’est donc que tu es un homme de cette cité.

 En tout cas, je suis heureuse d’apprendre que les enfants Bel’Gan ont bien survécus…je n’en avais jamais eu la confirmation.

- Ma sœur et moi avons effectivement survécus, grâce aux Kuvraks qui nous ont aidés à nous enfuir. Il était par contre trop tard pour ma mère… et mon père a fini par succomber à ses blessures il y a quelques années. »

Jian n’aimait pas parler de ça…même encore aujourd’hui le sujet restait douloureux. Mais une dernière précision devrait être faite avant de changer le fil de la discussion.

« Ma sœur ne sait rien sur ce qui s’est passé ce soir-là, ni sur l’implication exacte de Korven et je veux que ça reste ainsi. »

Diana réfléchit avant de répondre

« Je ne pense pas que ce soit un service à lui rendre mais soit, je respecterai ta volonté. Parlons affaire maintenant… Et mange donc, je vois bien que tu meurs de faim ! Tout ceci est pour toi, n’hésite pas. »

La jeune femme se redressa tandis que Jian finit par empoigner une cuisse de poulet rôti dont le fumet le torturait depuis le début de la discussion.

« Je pense que tu le sai, il ne s’agit pas d’une mission mais bien de deux, où j’y trouve autant d’intérêt que les chefs Kuvraks. C’est donc pour cela que nous avons décidé de collaborer. La première est aussi simple à expliquer que complexer à réaliser. Comme tu le sais, nous recueillons encore de nombreux Kuvraks que nous cachons comme nous le pouvons. Certains décident de rejoindre le clan, d’autres aspirent à une vie plus paisible parmi les leurs. Je parle notamment des enfants et des vieillards, même s’ils ne sont pas forcément les plus nombreux. Nous avons recueilli également des familles de rebelles et de déserteur et tes chefs ont été bien aimables d’accepter de les recueillir dans votre cité, comme ils l’ont fait pour toi jadis. »

Jian savait déjà tout cela et il n’aimait pas comment la jeune femme tournait autour du pot

« Combien de personnes en tout ?

- …entre vingt-cinq et trente environs. »

Jian tiqua

« Trente personnes ? Comment espérez-vous faire traverser le pays par trente personnes quand on a déjà eu du mal à voyager avec deux Kuvraks ? Nous ne pourrons pas tous les faires passés pour des femmes nomades !

- Je le sais bien figure toi, ça demande un simple effort de logistique… Je vais les faire voyager par tout petit groupe, quatre ou cinq maximum, accompagnés chaque fois par deux de mes hommes. Vous vous rejoindrez tous à Van’Bel où vous pourrez entreprendre la traversée du désert ensemble. Il faut se dire que si la deuxième mission est un succès, Les soldats auront bien d’autres chats à fouetter… Tout le groupe pourrait même faire le voyage sans être arrêté ! Mais je préfère prévoir la situation en cas d’échec… Il est inenvisageable que l’échec d’une mission entraine l’échec de l’autre, nous aurions alors fait tout ça pour rien. »

Jian réfléchit et essaya d’imaginer la situation... Il pouvait affirmer que son groupe était passé totalement inaperçu et une dizaine de groupe identique voyageant sur des routes différentes ne devraient pas faire une grande différence. Le duc de Van’Bel avait toujours été leur allié et ils pouvaient effectivement espérer qu’il offre l’hospitalité à ces immigrants, le temps de leur faire passer la frontière sans encombre. Mais il y avait un peu trop de facteur aléatoire pour que Jian se sente vraiment rassuré. Il se demandait déjà comment Diana pouvait se séparer sans sourciller d’une vingtaine d’hommes…

 « Tu sembles perplexes » fit-elle remarquer.

-J’ai compté au maximum vingt-cinq personnes du clan dans cet établissement, auquel je peux rajouter peut être cinq ou six que j’ai aperçu de loin… La moitié de ce groupe est composé de femmes et de Kuvraks qui ne peuvent compter comme guides pour ce voyage. Je me demande donc comment vous allez faire pour me sortir la vingtaine d’hommes promis. »

Diana ne se départit par de son sourire charmeur mais réfléchit avant de répondre.

- Tes calculs sont parfaitement justes mais ton erreur est de croire que je n’ai que cet établissement et ses habitants sous mes ordres… En temps normal je ne dévoile jamais toutes mes cartes mais si je ne peux faire confiance au fils de Yaran Bel’Gan alors je suppose que tout est perdu d’avance…Tu peux compter encore six établissements identiques à celui-ci dans la capitale…et disons deux dans chaque ville de duché. Plus encore tous les hommes et femmes voués à notre cause et qui nous offrent argent, gites et couverts quand ils le peuvent bien que leur principale utilité est le réseau d’information qu’ils forment. Même s’il est vrai que tous ne sont pas des hommes de combat valides et des guides compétents, je pense quand même pouvoir facilement t’en trouver une vingtaine.

Je pensais que tu t’en rendais compte Jian…mais il y a des centaines de Kuvraks vivant encore dans ce pays malgré le risque de mort qui pèse sur eux. Ceux que je fais évacuer sont soit les plus fragiles soit les plus menacés. Un Kuvraks dont les dalindriens ignorent l’existence n’est pas vraiment en danger pour peu qu’il vive caché mais quand un Kuvraks arrive à s’enfuir d’une attaque de soldat dalindriens, ils le poursuivent jusqu’à sa mort. Il devient donc urgent pour lui et pour ceux qui le cachent de l’évacuer purement et simplement. 

- Je vois… mais j’ai du mal à comprendre comment vous en êtes venus à diriger tous les révolutionnaires du pays ni d’où vous tirez vos fonds ! »

Diana soupira et prit la peine de grignoter des fruits puis de leur servir du vin avant de répondre.

« Tu en poses des questions, Jian, fils de Yaran…Mais je suppose que tu les mérites. Vu que tu es intelligent, tu aurais surement fini par deviner tout seul de toute façon puisque tu connais déjà une partie de la réponse. »

Jian la regarda, intrigué.

«  Le duc de Van’Bel est un allié puissant pas vrai ? »

- Oui, répondit Jian, il doit d’ailleurs être le seul des ducs rebellés à s’en être bien sortit… et son duché est le seul endroit où les Kuvraks peuvent aller et venir plus ou moins librement.

- Exact… et sais-tu pourquoi il met autant de cœur et de moyen dans tout ceci alors que pour beaucoup, c’est un combat perdu d’avance ? »

Jian réfléchit avant de répondre

«  Je sais juste que c’est lié à sa défunte femme mais je n’en sais pas beaucoup plus. »

Diana acquiesça

«  La femme du duc de Van’Bel était une métis ; mi humaine, mi Kuvraks…il l’avait épousée en secret et l’avait tenu loin de la capitale. Son unique confident était ton père, Yaran, qui avait toujours tenu les Kuvraks dans le plus grand respect. Pendant des années, il a essayé de convaincre le roi Balaam de faire la paix avec le peuple Kuvraks. Le duc de Van’Bel a attendu ça pendant si longtemps…pouvoir afficher fièrement sa femme et ses enfants métis au grand jour ! Mais comme tu le sais si bien, Korven a fait assassiner le roi puis accusé et tué ton père. De rage, les ducs de Van’Bel, Bel’Gan et Van’Ten se sont unis pour détrôner l’imposteur mais ils ont échoués et en ont payés un lourd tribut. Avant que Korven n’attaque sa ville, le duc de Van’Bel à fait évacuer sa femme et ses plus jeunes filles pour qu’elles trouvent refuge à Vere Celibel mais elles n’y sont jamais arrivées : les chiens fidèles de Korven les ont arrêtés avant. »

Le ton de Diana s’était considérablement durci et elle finit par se lever pour regarder par-dessus la rambarde. Ils pouvaient entendre les rires et les discussions de leurs compagnons attablés.

« L’épouse fut tuée et les jeunes filles furent amenées à la capitale en guise d’otage…obligeant le duc de Van’Bel à renoncer à sa lutte. »

Diana se retourna vers Jian qui la regarda et qui commençait à comprendre.

Elle était belle et plus grande que la moyenne des femmes. Ses cheveux étaient étrangement claires et sa peau trop tannée pour une dalindrienne.

Elle finit par relever une de ses longues mèches de cheveux pour découvrir un petit bandeau lui cachant son œil droit. Elle le retira et montra son visage au jeune homme.

Si son œil gauche était normal, le droit par contre avait la cornée totalement noircie. L’iris était d’un bleu intense et les cils de son œil étaient blancs. Jian ne dit rien et pris le temps d’observer la jeune femme dont les cheveux devaient aussi cacher des oreilles légèrement pointues…

Lui qui connaissait si bien Elody, comment n’avait-il pas su s’en rendre compte plus tôt ?

« Ne crois pas être le seul dont la famille a été anéantie par ce pourceau de Korven, mon cher Jian. Ne crois surtout pas être le seul qui veut se venger de lui. »

Qu’avait-il à répondre à ça ? Il était devenu habituée à ce que les gens compatissent pour lui en entendant ses origines mais son père lui avait toujours dit que Korven avait détruit bien d’autres…

« Un fils de traitre supposé mort et une otage noble qui conversent dans un bordel des bas fond de la capitale…Korven s’étranglerait s’il apprenait ça. »

Diana fut choquée de sa réflexion puis pouffa en répondant :

« Si ça pouvait le tuer, je l’amènerais ici-même ! »

Et ils éclatèrent de rire tous les deux.

Diana s’assit pour reprendre son calme et son souffle mais elle ne pouvait effacer son sourire et Jian soupçonnait qu’il en était de même pour lui.

« Alors vous vivez au palais ou ici finalement ?  demanda Jian en souriant toujours.

- les deux j’imagine, répondit-elle, Je suis au palais quand Korven se souvient de ma présence et me requiert et je suis ici quand mes hommes ont besoin de moi. Officiellement je suis pour ce cher Korven comme son petit chien apprivoisé…ça me permet d’apprendre tout un tas de choses intéressantes.

On est arrivé à cette fameuse deuxième mission…la plus importante évidemment. Tu vois, Korven s’imagine que je ne suis qu’un otage, un pantin utile pour tenir mon père en laisse et il ne s’imagine pas une seule seconde que j’ai pu organisé son assassinat. »

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