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Chapitre 19 : Yuïn

 

« Non plus près cette poutre, encore, encore un peu…    Voila très bien, stop ! Et celle-là vous la mettez à la perpendiculaire juste ici, très bien. »

 

Tout en donnant ses instructions, Yuïn traversait le chantier de part en part, montrant les emplacements désignés avec ses pieds. Les ouvriers consciencieux déplaçaient les grandes poutres sur leur dos et les posaient lourdement sur le sol de terre. Yuïn regarda le plan qu’il tenait en main et fit rectifier certaines pierres de maintien puis s’assura que tout en était bien en place avant de laisser faire ses hommes et de passer au chantier voisin en zigzaguant entre les planches, les pierres et les pieux.

Il aperçut deux silhouettes approcher et alla à leur rencontre, reconnaissant la vieille Nefer et la rigoureuse Madenar, deux des chefs de Vere Celibel.

 

« Le chantier avance bien ? » Demanda gentiment la vieille femme quand il fut près d’elles.

« Oui, très bien ! Répondit Yuïn, Si nous continuons comme ça, nous aurons fini plus vite que prévu. Le premier bassin est presque terminé et les deux suivants avancent à bon rythme. Une fois que les grosses œuvres seront terminées, nous pourrons installer la terre et commencer les plantations. »

 

Pendant ses explications, Yuïn amena les deux femmes le long du premier bassin. Si les deux autres chantiers ne constituaient qu’en de vagues trous grotesques, celui-ci montrait déjà sa forme quasi définitive. Le grand trou rectangulaire était démarqué par de lourdes pierres qui en faisaient l’enceinte. Des poutres en bois complétaient le pourtour, soutenant un chemin de planches qui défilaient tout le long des chantiers.

 

« Ces bassins d’irrigation sont d’une importance cruciale, indiqua laconiquement Madenar, Assures toi qu’il n’y ai pas d’erreur, mieux vaut qualité à rapidité...»

 

Yuïn acquiesça et sous sa demande, lui donna le plan. Elle partit ensuite inspecter d’elle-même les lieux.

La vieille Nefer sourit en entendant Yuïn soupirer et leva la tête pour apercevoir le ciel qui trouait le plafond de la grotte. La lumière atteignait sa paroi sud, où Yuïn avait prévu d’installer les plantations.

 

« Cette grotte est une chance inespérée, commenta la vieille femme, son accès à la rivière et à la lumière du soleil en fait un endroit de culture idéal…    et des plus surs. En cas de guerre et de siège, nous pourrons nous procurer sans risque de la nourriture. »

 

Yuïn ne répondit rien, après tout n’était-ce pas lui qui avait découvert cette grotte et qui l’avait présenté au conseil des chefs ? Après leur avoir expliqué la situation idéale de cette grotte qui ne se trouvait qu’a quelques lieux seulement de la ville, il n’avait pas fallu longtemps pour qu’ils lui accordent les ressources et les hommes nécessaires.

 

« En tout cas, rajouta la vieille Nefer, te voici sur tous les fronts ! Après avoir inventé des équipements révolutionnaires et pourvu tout tes amis en armes, te voici maintenant en chef de chantier d’agriculture ! Si tu ne t’arrêtes pas bientôt, tu retransformera toute la ville et nous autres n’auront plus qu’à t’en donner les clefs ! »

 

Yuïn éclata d’un rire franc mais modeste. Bien que le jeune homme se soit plus d’une fois illustré comme l’un des plus grands génies ingénieurs qu’ai connu la ville sous-terraine, Il était resté lui-même ; simple et franc.

 

« Tout ce que j’invente et j’entreprends, je le fais pour la ville et sa sécurité, déclara-t-il sincèrement. "

- Et pour donner forme à ton imagination débordante aussi » commenta perfidement la vieille avec un grand sourire, Tu vas bientôt nous dilapider mon cher enfant.

- Ne suis pas un peu grand pour être encore appelé « enfant » ? J’aurai vingt-cinq ans cette année vous savez.

- Et que valent tes vingt-cinq printemps face à ma centaine d’hiver dis-moi ?

- Centaine ? Rajouta Yuïn, depuis le temps que vous dites ça, vous ne devez plus être loin des deux-cent !

La vieille éclata de rire

 

- Toi, Jian, Kari…    vous grandissez tous si vite…    je cligne des yeux et vous voilà devenus adultes, de l’ambition et des projets plein la tête ! Mais vous serez toujours des enfants pour moi…    à conseiller et protéger. »

Yuïn ne répondit rien pendant un moment et renoua sa longue queue de cheval avant de demander ;

« A propos de Jian et Kari…    et d’Elody, vous avez des nouvelles depuis le temps ? »

- Ils sont bien arrivés à la capitale, apparemment sans trop de misères. Ils se préparent maintenant à leur mission qui aura lieu dans trois jours. Serais-tu inquiets pour tes amis Yuïn ?

- Pas vous ? » demanda-t-il

- Pas vraiment…    enfin pour être plus exacte, je suis consciente qu’ils ont été suffisamment préparés et que leur volonté est sans faille. Tout a été méticuleusement préparé et il ne sert à rien de s’inquiéter sur des facteurs indépendants de notre volonté. Tout repose sur leurs épaules maintenant et je préfère les soutenir de ton mon cœur que me ronger d’inquiétude. Ne crois-tu pas ?

Mais ils furent interrompus avant que le jeune Kuvraks n’ai pu donner sa réponse.

« Graaaaand frèèèèèèèère ! » s’écria une petite fille qui courrait vers eux, un panier dans les mains. Ses cheveux d’argent voletaient et brillaient dans la lumière du ciel alors que ses petits pas évitaient avec assurances cailloux et embuches.

- Limra ! S’indigna Yuïn alors que la petite fille lui sautait au cou, ou plutôt à la ceinture vu leur différence de taille.

Sa petite sœur de dix ans lui fit un énorme sourire avant de se retourner pour saluer la vieille Nefer. Yuïn ne pouvait répliquer à son sourire et la petite fille ne le savait que trop bien.

" Bonjour petit Limra, dit Nefer alors que la petite fille la laissa lui baiser tendrement le front. C’était ainsi que les vieilles personnes transmettaient leur amour et leur sagesse aux cadets chez les Kuvraks.

- Limra que fais-tu...

- Je t’ai apporté un pique-nique grand frère ! Limra lui souleva fièrement le panier sous le nez.

- Ah ! C’est très gentil à toi…    Mais là n’est pas la question !, Se reprit son ainé. Je t’ai dit cent fois de ne pas venir ici toute seule, c’est dangereux !

La petite fille fit la moue et s’indigna ;

- Mais papa et maman sont trop occupés avec la boutique et tu ne prends jamais à manger toi-même ! Maman dit toujours que tu ne manges pas assez, que tu es tout maigre !"

Yuïn capitula alors que la vieille éclatait de rire. Il adorait sa petite sœur et ne pouvait malheureusement rien lui refuser…    Mais quand même, traverser les mines qui reliaient la ville aux chantiers pouvait se révéler dangereux. Il se sentait maintenant obliger de la raccompagner lui-même à la maison…    mais à quoi donc pensaient ses parents ?!

Devinant son indécision, la vieille caressa les cheveux de la petite avant de lui proposer ;

« Veux-tu que je la raccompagne ? Madenar semble vouloir inspecter chaque caillou alors que moi-même suis assez las…    Je te fais confiance pour la suite et vais te laisser travailler. »

- Quoi ? demanda Limra, on doit déjà rentrer ? Je viens à peine d’arriver, c’est pas juste !

- Ce n’est pas une plaine de jeux, Limra ! S’indigna son frère.

- J’ai vu un bassin un peu plus loin, avec, je crois bien, pleeein de grenouilles. Va vite les voir et attends-moi sagement la bas ma chérie.

- Des grenouilles ! A ce soir grand-frère ! »

Et sans demander son reste, la petite fille abandonna son panier aux pieds de son frère et repartit en courant vers la mare.

« Des grenouilles ? Ici ? » S’interrogea Yuïn

- Ma foi, ma vue à tendance à baisser, peut-être ai-je mal vu…    mais ça va l’occuper un moment.

Elle se tourna vers le jeune homme.

- Pourquoi donc es-tu si inquiet ? Le chemin n’est pas si dangereux…    Si une aussi vieille femme que moi peut le traverser alors une fillette ne craint rien non plus. Tu n’étais pas si scrupuleux et inquiets quand tu étais plus jeune et que tu t’étais juré de découvrir tous les sous-terrains avec Jian ! Commenta la vieille femme en souriant.

- Justement !, répondit Yuïn, je n’ai pas oublié que Kari et Elody nous suivaient et se perdaient sans arrêt ! Et nous nous sommes attirés pas mal d’ennuis, mes fesses s’en souviennent encore.

Malgré lui, Yuïn ne put s’empêcher de sourire en se remémorant se souvenir.

- Nous aurions pu mourir plus d’une fois…

- Et pourtant tu ne regrettes rien. » termina la vieille.

Elle souriait. Du plus loin de ses souvenirs, Yuïn avait toujours vu cette vieille femme sourire. Même lorsque leurs parents les sermonnaient ou les menaçaient, elle ne faisait que constater et sourire et pourtant c’était aussi la personne qui avait les yeux les plus tristes de la ville. Tout son visage rayonnait de plénitude, de tendresse mais aussi d’une grande tristesse qui semblait très ancienne.

Remarquant son silence et son regard, la plus-que-centenaire reprit:

« Il faut laisser les enfants grandir et pour ça ils doivent apprendre ce qui est juste et pas juste, bon et pas bon, dangereux ou sûr…    Il faut juste veiller sur eux pour les rattraper avant qu’ils ne tombent trop bas. »

- Comme vous-même êtes intervenues quand nous sommes sortis à l’Extérieur et que nous nous sommes retrouvés face à ces monstres du désert...Nous serions certainement mort sans vous.

La vieille femme sourit de toutes ces dents à ce souvenir.

« Je me souviens surtout de la grande témérité de Kari qui voulait absolument voir l’extérieur…    d’Elody qui la suivait malgré sa crainte…    et de toi et Jian qui les aviez suivie pour les protéger. Déjà à cette époque, vous étiez les prémisses de ce que vous êtes aujourd’hui : Jian aurait-il juré de protéger Kari et sa sœur si elles n’avaient pas failli mourir ce jour-là ? Aurais-tu créé de meilleurs armes et équipements si Jian n’avait pas été gravement blessé ? Et Kari serait-elle devenue plus sage et plus méfiante si elle n’avait pas vu Jian prendre les coups à sa place ? Quant à Elody…    .Au moins maintenant sait-elle dire non à son amie quand il le faut. »

Yuïn sourit. Elle a toujours une réponse à tout, se dit-il.

« Bon, reprit-il en se tendant le dos, c’est pas tout ça mais j’ai un chantier à finir ! Merci de raccompagner Limra…    Même si nos erreurs font de nous des adultes, je ne suis pas pressée de la voir grandir d’un coup. »

- Bien bien, je te laisse mon garçon » dit la vieille qui repartit d’un pas lent vers les mines.

- Au fait, se rappela Yuïn, je me demandais : pourquoi avoir mis Jian et Diyien dans la même équipe ? Ils se détestent.

- C’est toi qui le déteste mon cher Yuïn ! Diyien est jaloux de Jian et Jian, ma foi…    en est totalement indifférent je pense. Mais ne t’inquiètes, ils sont assez grands pour mettre leurs désaccords de côté et se consacrer à leurs missions. »

Ça j’y crois pas trop malheureusement, pensa Yuïn mais sans faire de commentaire. Il se secoua, prit son panier de victuailles qui tombait finalement à point puisqu’il avait faim et repartit vers les chantiers.

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