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Chapitre deux : Yan’Da

Ils avaient repris tôt la route le lendemain matin et leur voyage continua sous un vent glacé.

Ayant grandi sous terre, dans les grottes chaudes de Vere Celadon, Elody n’était pas très à l’aise dans ce paysage qui s’étalait à perte de vue. Le ciel lui-même formait un vide inimaginable et elle était contente que de gros nuages gris viennent cacher cette immensité. Le vent, fort et froid la gênait aussi et c’est sans trop se faire prier qu’elle restait blottie sous la tente de la charrette.

Siman, leur guide, gardait toujours les rênes à l’avant et discutait joyeusement avec Jian tandis que Marten et Diyien s’étaient installé derrière leurs marchandises. Les deux compagnons ne s’étaient plus adressé la parole depuis la veille au soir et même s’ils se montraient aimables avec le reste du groupe, l’ambiance n’était pas au plus beau fixe.

 Elody regarda au dehors mais rien ne pouvait tromper leur monotonie ; la route continuait aussi rectiligne que possible.

« Eh Elody, regarde je l’ai réparé, il est comme neuf ! » lui dit Diyien qui s’installa à côté d’elle.

- Tu ferais mieux de le cacher, répondit-elle, maussade.

- Pourquoi tu me fais la tête maintenant ? » 

Boudeur, il cacha son bien au fond de son sac.

Elody le regarda froidement.

« Tu te fiches de moi ? S’exaspéra-t-elle, Tu nous traites d’emzi et tu voudrais que je t’en remercie ? » 

- Eh, j’ai pas dit ça pour toi ! s’indigna-t-il.

- Jian est mon frère alors si tu affirmes qu’il est moins que toi parce qu’il est orphelin, ça vaut pour moi aussi. Alors monsieur le prince, si je ne suis pas assez bien pour toi, et bien…fiche moi la paix ! »

Elody se leva rageusement et sortit de la charrette. Elle ne mit pas longtemps à le regretter car le vent était froid et humide.

« Elody ! »

Kari, qui préférait marcher derrière à son aise, alla vers elle.

« Ah bien tu es sortie, viens, il faut absolument que tu viennes voir ça ! dit-elle, le sourire aux lèvres. On voit la mer et une ville au loin, ça a l’air magnifique ! »

Kari avait pris l’habitude de lui faire admirer nuages, plantes et mer depuis qu’ils avaient entamés leur voyage. Si au début elle avait partagé l’enthousiasme de la découverte de son amie, elle s’était finalement fait à l’idée d’avoir du vide au-dessus de la tête et les pieds chatouillés par les plantes des plaines. Mais depuis qu’ils étaient montés sur le pont, il n’y avait vraiment plus grand-chose qui aurait pu éveiller son intérêt...

 «C’est juste pour cinq minutes, allez viens ! » ajouta sa meilleure amie.

Elody jeta un coup d’œil à la charrette mais celle-ci continuerait d’avancer au rythme d’un escargot et aucun de leurs compagnons ne semblaient faire attention à elles.

…Oh et puis pourquoi pas, se dit Elody qui la suivit.

Comme elle l’avait craint, le vent la gifla sans relâche et sa longue robe la gênait pour marcher mais elle tint bon et alla rejoindre Kari qui était déjà accoudée au mur. La forêt s’étendait sous leurs pieds, s’étirant d’est en ouest en longeant la côte et se terminant par une gigantesque cité portuaire.

Elody remarqua avec étonnement que la ville semblait s’étendre sur la mer elle-même et elles étaient si haut qu’elles pouvaient même voir les bateaux aller et venir. Jamais Elody n’en avait vu d’aussi grands.

« Je me demande quelle est cette ville », demanda Kari.

- Van’Na’Shaliah, » répondit Jian.

Les deux filles se retournèrent d’un seul mouvement, aucune des deux n’ayant entendu le jeune homme s’approcher. Sans autre commentaire, il regarda lentement le paysage avec semble-il un peu de nostalgie…

« Le pont passe au-dessus de la forêt de Shaliah, qui s’étire de l’ouest du port de Shaliah jusqu’à l’est, atteignant presque Van’Yan. La ville que vous apercevez là-bas est donc le principal port du pays et la ligne grise qui continue au nord, c’est le pont qui relie cette ville à la capitale. »

Kari regarda le port au loin.

« Pourquoi ne pas avoir pris un bateau jusque-là alors ? Nous aurions moins perdu de temps qu’à traverser à pied la moitié du pays… »

- Parce que c’est beaucoup plus dangereux, expliqua Jian, les bateaux sont étroitement surveillés à leurs arrivées et le Pont de la Mer est lui aussi bien gardé. Le Pont Mort, où nous sommes, porte bien son nom ; il est délaissé et donc peu surveillé. Seuls les marchands du désert les utilisent encore et ils ne posent aucun problème de sécurité. C’est donc pour nous la route la plus sure. »

Après avoir observé encore un peu le paysage, Kari finit par sa plaindre du froid et rejoignit la charrette. Bien que glacée elle aussi, Elody n’avait pas tellement envie de la suivre…Alors qu’elle observait toujours la foret, elle sentit des bras l’entourer.

« Tu me boudes aussi, petite sœur ? » lui demanda-t-il en souriant.

- Il n’aurait pas dû te traiter d’emzi, se buta-t-elle, mais tu n’aurais pas dû le menacer non plus. »

Jian la lâcha et s’accoudai à son tour au mur du Pont.

« Nous sommes ce que nous sommes, Lily ; Diyien est un fils de chef et toi et moi ne sommes que des orphelins qui avons vécu aux frais de la cité. Mais je suis votre chef  alors j’entends bien agir comme tel et Diyien a toujours eu besoin d’être secoué un peu pour obéir. » 

- Pour cette mission seulement…Quand nous serons revenus chez nous, tu redeviendras l’emzi, l’humain et moi la batarde. déplora-t-elle.

- Personne n’oserait t’appeler comme ça, et certainement pas devant moi ! S’indigna Jian, et je te l’ai déjà dit cent fois, tu es ma sœur à part entière. Tu n’es pas la première Kuvraks naissant de deux parents humains et tu ne seras sans doute pas la dernière. Cesse de te tourmenter avec ça, va ! Et quant à notre retour…je ne prendrais pas autant de risque ni ne t’aurait laissé m’accompagner si cette mission aurait été sans conséquence pour nous. Beaucoup de choses vont changer, petite sœur, et peut-être alors n’aurons-nous plus besoin de nous cacher. Viens, il est temps que nous retournions auprès des autres. »

Et Elody suivit son frère sans insister mais sans non plus se sentir vraiment apaisée.

Freinée par ce vent particulièrement violent, leur petite caravane n’arriva à la halte suivante qu’en fin de soirée.

Yan’Da était la seule cité-pilier qui méritait le nom de ville sur le Pont Mort. Elody fut ébahie par cette succession de maison qui s’étalait tout le long du pont. Sur le pilier lui-même, les maisons descendaient jusqu’au sol et des petits cahutes étaient encore visibles tout autour. Là aussi, la petite ville était bondée et Marten les amena directement à la troisième auberge, arguant qu’il en connaissait le maitre des lieux. L’auberge, nommée « l’Oiseau Rouge » était belle et proprette mais la salle à manger était déjà pleine à craquer. Elody se serait bien installée près de la cheminée bien chaude… il ne restait cependant aucune place disponible.

« Marten, mon vieil ami ! Les accueilli chaleureusement l’aubergiste, quelle joie de te revoir ! Mais tu n’es pas seul, entrez, entrez, venez par ici. »

Le groupe suivit l’homme bedonnant vers une arrière salle servant apparemment d’annexes à la grande salle ; des tables et des chaises étaient alignés sur les côtés tandis que des caisses étaient entreposées de l’autre.

« Voilà, voilà, je vais demander à mon fils de vous préparer une table puis votre chambre. Qu’est-ce qu’il vous ferait plaisir pour manger ? »

- Un carandou bien cuit…, répondit aussitôt Marten.

- Rôti par le dragon lui-même, termina l’aubergiste souriant, Je vous apporte ça de suite mes frères. »

Et l’aubergiste sortit aussitôt après ces curieuses paroles.

« Un carandou ? demanda Kari, je pensais qu’ils n’existaient plus ? »

- Ni les dragons Kari, cette phrase indique juste que l’aubergiste est dans notre camp, lui précisa Jian.

- Exactement, rajouta Marten, Il voulait être sûr qu’il pouvait parler librement du clan devant vous. Il va probablement attendre qu’on ait mangé et que la grande salle se soit vidée pour nous donner les dernières nouvelles. »

Le fils de l’aubergiste vint les aider pour installer la table et les chaises puis leur apporta leur repas ; bouillon de poulet et pain chaud.

Il revient une heure plus tard pour les desservir.

« Je vais vous conduire à votre chambre, mon père vous rejoindra plus tard ; des soldats sont dans la grande salle et il a peur d’attirer l’attention sur vous».  Les informa-t-il.

Les compagnons se levèrent aussitôt et aidèrent le fils de l’aubergiste à remettre la table et les chaises en place et à effacer toute trace de leur repas. Ils descendirent ensuite un escalier étroit.

« Je pensais que les chambres étaient en haut ? » Demanda Diyien.

- Pour la clientèle normale, oui mais on a des chambres en bas pour les amis », Répondit le jeune homme.

Ils descendirent ainsi pas moins de trois étages avant d’arriver dans une pièce sombre. Le garçon s’assura que les volets de la fenêtre étaient bien fermés et alluma un petit poêle à bois.

« Voilà, dit-il, désolé pour la poussière…si les soldats s’en vont sans faire d’histoire je pourrai vous remonter dans une chambre normale. Je vais remonter maintenant avant qu’ils ne se demandent où je suis passé». 

Le jeune garçon referma la porte derrière lui et ils l’entendirent reprendre les escaliers.

« Mouais, super, une chambre sombre, poussiéreuse et qui n’offre aucune possibilité de fuite, fit-remarquer Diyien en râlant, ils savent recevoir les amis du clan du dragon. »

En guise de réponse, Marten dégagea une caisse posée négligemment sur le sol et ouvrit une trappe cachée en dessous.

« Rassuré ? Demanda-t-il, par contre pour la poussière, il va falloir t’y faire. Maintenant, rien ne t’empêche de faire le ménage. »

Elody ria de la répartie mais elle devait avouer qu’elle en avait elle-même assez de passer toutes ses nuits dans des chambres sombres et sales. Tout en préparant sa paillasse, elle pensait avec nostalgie à sa maison et sa chambre, qui l’attendaient à des lieux de là.

Et on n’est pas prêt d’y retourner, se dit-elle amèrement.

« Bon, commença Jian après qu’ils aient installé leurs lits, Malgré les circonstances, ici au moins on peut parler librement. Nous nous sommes retenus de poser la plupart des questions qui auraient pu nous mettre en danger si elles avaient été entendues par de mauvaises personnes. Je pense qu’on devrait en profiter pour tout mettre à plat. Je te fais confiance Marten alors à toi de me dire si l’aubergiste est parfaitement fiable ou non. »

Marten réfléchit avant de répondre.

« Stan, l’aubergiste, est un homme de confiance, il ne nous trahira jamais de son plein gré. Mais il fait partie de ce que nous appelons des « hommes de relais » ; des alliés vivant leur vie normale dans le royaume et qui nous procure gites et couverts si besoin. Ils sont cependant généralement isolés ; si Stan venait à être découvert et arrêté, aucun membre du clan ne saura le sauver à temps…avant qu’il ne parle sous la torture. »

Jian médita sur ces explications avant de répondre.

« Bien, alors je ne vous le dirai qu’a vous deux et vous demanderez de ne pas en parler à Stan. Il attendit que les deux guides approuvent d’un hochement de tête avant d’ajouter, Comme vous l’avez entendu hier, Diyien est le fils du chef Korson, qui dirige les guerriers Kuvraks et qui nous a confié cette mission. Quand à ma sœur Elody et moi-même, nous sommes nés à la capitale…Nous sommes les enfants de Yaran Bel’Gan. »

Les guides accusèrent le coup et Siman ne cessait de faire l’aller-retour du regard entre Jian et elle-même.

« Alors c’est vrai cette histoire que le général Yaran a eu un enfant Kuvraks ? Un vrai, pas un adopté ? » Insista-il.

Elody baissa les yeux et ne répondit rien ; il était gênant qu’elle soit maintenant le centre d’attention général et elle n’aimait vraiment pas qu’on lui confirme qu’elle était une erreur de la nature.

« Elody est ma véritable sœur, ajouta Jian ; j’ai vu ma mère la mettre au monde et mon père pleurer de joie à sa naissance. Et malgré ses traits Kuvraks, elle ressemble bel et bien à notre défunte mère, ajouta-t-il en la regardant en souriant. »

- C’est vrai qu’elle a la peau plus claire et les cheveux plus foncés que les Kuvraks normaux…J’avais déjà entendu dire que des Kuvraks pouvaient naitre de parents humains mais c’est la première fois que j’en vois une… Constata Marten.

- Non, souviens toi de Bardak, il n’en parle jamais mais ses parents étaient humains. Lui précisa Siman.

- Son père était humain, corrigea Marten en levant les yeux au ciel, sa mère était une Kuvraks et il n’en parle jamais parce qu’elle était l’esclave de son père, pas de quoi le rendre fier.

- Bref, coupa Jian avant que Siman ne puisse rétorquer, Cette information doit rester entre nous ; si Korven venait à apprendre que nous sommes encore en vie, je ne donne pas cher de notre peau… Nous sommes une des rares preuves de sa trahison envers le roi et mon père. »

Les deux guides acquiescèrent et Marten voulut ajouter quelque chose en regardant Kari mais Siman l’interrompit ; des bruits de pas se firent entendre de l’escalier et la porte s’ouvrit en grinçant.

Jian et Diyien empoignèrent immédiatement les poignards accrochés à leur ceinture mais se détendirent quand ils reconnurent l’aubergiste.

Celui-ci tenait un plateau contenant des fruits, des verres et un pichet et s’arrêta net quand il les vit.

« Houlà, du calme ! Les soldats sont partis mais je préfère que vous passiez la nuit ici…Je vous ai apporté le désert », ajouta-il en souriant et en montrant son plateau.

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