top of page

Chapitre trois : Mauvais rève 

L’aubergiste, Stan, installa le plateau et commença à leur servir à boire. Pensant qu’il s’agissait d’eau, Kari but avidement sans se méfier et failli en cracher la moitié. C’était une liqueur acre et piquante. Elody fit elle-aussi la grimace quand elle eut gouté mais les hommes semblèrent apprécier le breuvage.

« hahaha, c’est pas de la piquette hein ! Lança Stan en tapotant affectueusement sur l’épaule de Kari, y en a pas des comme ça dans vot’ cité pas vrai ? Elle vient directement de Tenmis, importée par les nomades du désert. Ils savent ce qui est bon là-bas. »

 Ils ont surtout des gouts bizarres, se dit Kari qui préféra baisser son verre.

« Il n’y pas eu de problème avec les soldats ? » demanda Jian.

- Oh non, rien d’inhabituel ! Répondit Stan, ils viennent souvent picoler en fin de soirée, parfois ils déclenchent une bagarre et repartent avec un œil en moins mais bon… La vérité c’est que la situation est un peu tendue en ce moment, il y a peu d’insécurité en ville parce que  les gens se taisent et restent bien chez eux… alors les soldats s’ennuient. Ils ne contrôlent même plus vraiment les marchandises comme vous avez pu le constater. On pourrait presque faire passer un Kuvraks sous leur nez… Ils ne le verraient peut-être même pas ! »

Il regarda Diyien qui répondit :

« Oui enfin je préfèrerais m’abstenir… »

- Sage décision mon ami, il ne vaut mieux pas tenter le diable ! Ajouta l’aubergiste, plus sérieusement. Leur ennui les rendent hargneux c’est vrai… l’autre jour un des villageois s’était plaint qu’ils avaient touchés à sa fille. Ils l’ont accusé de trahison et les ont tous pendus, sa famille et lui. Certains affirment même qu’ils ont pris soin de « toucher à sa fille » avant de tirer sur la corde… »

Kari déglutit tandis que les autres maintenaient un silence choqué.

« Parle-nous de la capitale, Stan, demanda Marten, voilà six mois que nous n’y avons plus mis les pieds.

- Vrai ! répondit Stan, Et bien ça n’a pas tellement changé ou plus exactement, ça continue de se détériorer. L’état de la reine est de plus en plus préoccupant, beaucoup se demandent même si elle est encore vivante… Diana affirme que oui en tout cas. Tous les nobles ont la tête avidement tournée vers le trône pour être prêt à agir quand il se libérera. Bien sûr, Korven n’a pas l’intention de quitter sa place de régent…et pourrait même lorgner sur le titre de roi si la jeune princesse n’était pas sur son chemin. Pour affirmer son autorité, il a encore resserré sa prise sur les nashiens de la basse ville tout en flattant les bourgeois et les nobles du haut de la ville. Il est bien décidé à détruire notre clan mais nous continuons toujours à lui résister efficacement…Voilà pour les dernières nouvelles.

Ah non, j’oubliais ! Vous avez sans doute remarqué le nombre inhabituel de voyageurs sur le Pont ? Et bien, il n’y a encore rien de vraiment officiel mais dans quelques jours cela fera quinze ans que le roi Balaam nous a tragiquement quitté. Il y a de plus en plus de rumeurs qui indiquent qu’une cérémonie sera organisée en son honneur à la capitale. Beaucoup espèrent d’ailleurs que la reine se montrera en personne. Tous les voyageurs qui dorment chez moi pour le moment sont des marchands qui comptent profiter des évènements pour vendre leurs bijoux et amulettes aux nashiens. Il y a aussi de plus en plus de tenmissiens… contrairement aux Kuvraks, ils ont le droit de passage et de commerce à Dalindra mais ce n’était quand même pas courant. »

Les deux guides acquiescèrent tout en mangeant les petits pains chauds fourrés.

« A vous, maintenant, il s’adressa directement à Jian, vous venez tous de Vere Celibel ? C’est la première fois que je vois des envoyés si jeunes…dont deux humains en plus ! »

Kari regarda Jian, imitée par Elody et Diyien. 

« Kari et moi sommes des orphelins de rebelles, les chefs Kuvraks ont acceptés de nous prendre sous leur tutelle et depuis, nous vivons la bas et servons le peuple Kuvraks, répondit-il sans sourciller. »

Ce n’était pas vraiment un mensonge…ni vraiment la réalité. A vrai dire, personne ne savait qui était les parents de Kari…Elle avait été trouvée dans les grottes alors qu’elle n’était qu’un bébé. Personne n’avait su expliquer comment un bébé humain s’était retrouvé dans des grottes uniquement fréquentées par des Kuvraks mais La vieille prêtresse Nefer avait acceptée de la prendre sous sa protection et elle avait grandi avec les « sœurs du dragon », d’autres orphelines comme elle à qui la vieille Nefer apprenait la religion et l’art de former, que les humains appelaient plus communément magie. Kari était cependant la seule humaine du groupe…en y repensant il ne devait même pas y avoir une dizaine d’humains dans la cité Kuvraks et seul Jian avait su s’intégré dans l’ordre des guerriers.

« Ah vous êtes…comment vous dites ça encore ? Des emzis c’est ça ? » Insista l’aubergiste.

Elody, assise à côté de Kari tressaillit en entendant ce mot. Il n’avait pourtant rien d’offensant à la base ; il désignait simplement les enfants mis sous tutelles chez les Kuvraks ; Kari en était une aussi. Bien que le terme n’était plus vraiment d’actualité pour Elody et Jian vu que ceux-ci vivaient désormais grâce au salaire de l’ainé. Maintenant qu’ils pouvaient partir en mission à l’extérieur des grottes, ils devaient  être normalement considérés comme des adultes mais tous les vieux s’obstinaient à les traiter comme des enfants !

« On peut dire ça oui, évasa Jian, je pense que nous devrions aller dormir maintenant, nous devrons repartir dès l’aube. »

Malgré son air peiné, l’aubergiste n’insista plus  et se leva pour rassembler la vaisselle et leur souhaiter une bonne nuit.

Après qu’il soit partit, Marten se leva pour raviver le feu du poêle.

« Désolé, dit-il en s’activant, Stan a toujours été un bavard ! Mais ne t’inquiète pas, il est vraiment fiable ; il sert notre clan depuis plus de dix ans et n’a jamais posé de problème. En tout cas, nous arrivons au bout de notre voyage ! Plus que deux nuits et nous serons arrivé à la capitale. Même si la ville est dangereuse, il y a aussi beaucoup trop d’habitants pour que les soldats fassent vraiment attention à nous. Une fois que nous serons dans notre planque, vous pourrez vous détendre. »

Jian hocha de la tête et s’allongea sur sa paillasse. Son air détendu ne trompait sans doute personne et surement pas Kari ; Voilà trois mois qu’ils voyageaient pour atteindre la capitale de Dalindra et leur voyage avait été long et éprouvant. Mais si Van’Dah’Nashiah était leur but, ce n’était certainement pas pour s’y détendre.

Kari se coucha à son tour et bientôt, ses compagnons furent tous endormis,  elle pouvait même entendre ronfler l’un d’entre eux mais elle-même n’arrivait pas à dormir.

Bien qu’humaine, elle n’avait connu que les Kuvraks et leur cité sous grottes et comme eux, elle avait vécu en maudissant les dalindriens qui n’avaient jamais cessés de vouloir leur extinction. Tout ça à cause d’une antique légende les désignant comme une malédiction des dieux ! Les Kuvraks étaient depuis des siècles considérés comme « inférieurs » par les dalindriens qui les exploitaient alors comme esclave. Mais depuis que le général Korven avait pris le pouvoir, tout Kuvraks capturé était immédiatement mis à mort, rendant leurs voyages à travers le pays de plus en plus périlleux. Kari se doutait bien que les chefs n’auraient jamais accepté qu’elle parte en mission si jeune si elle n’avait eu l’avantage d’être humaine…Mais il en avait été de même pour Jian qui avait fait ses preuves dès ses seize ans et qui était toujours revenu indemne !

Elle se retourna sous sa couverture en se jurant de ne pas se laisser abattre et finit par s’endormir. Elle rêva de sa cité ; de leurs jeux quand ses amis et elle étaient encore enfants. La vieille Nefer et le père de Jian conversaient en les regardant. Une ombre planait derrière lui, s’étendant encore et encore mais personne ne le remarquait. Kari arrêta de jouer et cria quand l’ombre engouffra Yaran. Yuïn, Elody et Jian continuaient de jouer et la vieille femme les regardait toujours en souriant. Kari leur cria encore d’arrêter, ne voyaient-ils pas que leur père venait de disparaitre ? L’ombre s’étendit encore, les engouffrant les uns après les autres ; Jian d’abord puis sa sœur puis la vieille femme. Elle vit Yuïn jouer tout seul pendant un moment puis il disparut à son tour. L’ombre avait tout englouti et elle restait seule dans le noir. Elle hurla quand ses pieds et ses mains commencèrent à disparaitre…

« Kari, Kari, réveille-toi ! »

Elle se réveilla en sursaut, la peau moite et les larmes aux yeux. Elody était agenouillée au-dessus d’elle, la main sur son épaule.

« Tu en fais une tête ! Tu as mal dormi ? » Lui demanda-t-elle.

Kari se leva et regarda la pièce, éclairée par le soleil levant qui passait par la fenêtre ouverte. Jian se trouvait bien là, comme les autres qui se levaient et s’habillaient. Aucune ombre ne planait au-dessus d’eux.

« Et Yuïn ? » Ne put s’empêcher de demander Kari.

- Yuïn ? Mais enfin Kari, il est resté à Vere Celibel, tu sais bien ! Tu es sure que ça va ? 

- Je suppose », répondit Kari en se levant, vaseuse.

bottom of page