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Chapitre 21: l'attaque

 

Après avoir discrètement placé les hommes de la garde tout autour de l'établissement, le capitaine fit des signes rapides à ses dix soldats d'élite. Ceux-ci se faufilèrent immédiatement entre tonneaux et charrettes pour atteindre les portes d’accès. La grande maison close aux murs rouges était extrêmement calme, aussi silencieuse finalement que les ruelles désertées. Seules les lumières vacillantes qui filtraient à travers les volets ajourés laissaient penser queleshabitants et clients s'y trouvaient toujours. Voilà une heure qu'ils avaient envahis en douceur le quartier, forçant les habitants à évacuer dans le plus grand silence. Désormais désert de son activité habituelle, le quartier chaud du troisième niveau avait des allures de ville fantôme et le vent glacé qui souffla soudainement donna la chair de poule à Ishkan, tapis derrière un petit muret, près de la porte principale.

Le léger sifflotement du capitaine lança l'assaut: aussitôt Nazar et Paylag, deux grands et jeunes gaillards, fracassèrent la porte d'entrée et pénétrèrent dans le hall, Ichkhan et un autre frère d'arme à leur suite.

Des dix hommes désignés par le commandant et placés par le capitaine, quatre devaient garder l'arrière-cour du bâtiment, deux autres maintenaient sûrs les côtés avec le reste de la garde et les quatre derniers qui s'étaient particulièrement distingués pour leur talent menaient l'assaut principal avec leur capitaine.

Le ton fut directement donné par deux géants eunuques noirs qui les attaquèrent, armés de bâton, stoppant net l’avancée des soldats.

Le capitaine entra à son tour et regarda la scène avant d'ordonner:

 

« Ce ne sont que des pions, tuez-les. » 

 

Les soldats s’exécutèrent et Nazar parvient à éliminer seul le premier tandis qu'Ichkan et Paylag se débarrassèrent du deuxième.

Aussitôt les hommes de la garde pénétrèrent à leur tour en poussant les deux cadavres sur le côté et envahirent le premier salon où les jeunes femmes se mirent à hurler.

 

« Tout le monde contre le mur, putes et tenanciers d’un côté, clients de l’autre. Obéissez et vous devriez sortir d’ici vivant. » Beugla le capitaine. 

 

Il se tourna ensuite vers ses hommes.

 

« Vous trois, vous gardez la porte, vous, vous gardez cette pièce, tuez le premier qui bouge. Et vous deux, vous venez avec moi » dit-il en terminant par Nazar et Ichkhan.

 

Il monta ensuite le grand escalier, les deux soldats à sa suite. Il s’arrêta devant la première porte du premier étage et fit deux signes à Nazar. Au troisième, celui-ci détruisit la porte d’un coup de pied et ils entrèrent en trombe. Un cri effrayé provint du lit à baldaquin qui occupait la grosse partie de la chambre. La pute enjambait toujours son gros client qui semblait, quant à lui, avoir perdu sa langue.

 

Le capitaine les toisa et beugla : « en bas, et plus vite que ça si vous voulez gardez vos culs intacts ! »

 

Sans se faire prier, la fille et son client descendirent tant bien que mal l’escalier, totalement nus.

Le capitaine maugréa en retournant dans le couloir.

 

« Séparons nous sinon nous n’en aurons jamais fini…Je veux que chaque porte soit ouverte, vérifier même les placards! Gueulez si vous voyez un suspect intéressant, les autres vous me les envoyez en bas. »

 

Les deux soldats acquiescèrent et Ichkhan laissa le premier étage à Nazar tandis que lui prenait le deuxième. Quant au capitaine, il monta directement au quatrième étage où se trouvaient les combles du bâtiment.

Si les deux premières chambres qu'ouvrit Ichkan étaient vides, les trois suivantes contenaient des clients affairés où seul un s’était interrompu à cause du vacarme. Ichkhan les tira du lit, en essayant tant bien que mal de ne pas fixer toutes ces femmes nues comme à leur premier jour. Il les envoya en bas à grand renfort de coup de pied puis monta au troisième étage. A peine arrivé qu’il vit un jeune homme sortir d'une pièce et s’enfuir au bout du couloir. Il courut à sa poursuite avant de remarquer qu’un autre homme était resté caché dans la première chambre. Il l’attaqua de dos et Ichkhan le para de justesse. Le premier jeune homme était revenu et l’attaqua à son tour avec un bâton.

 

« Un bâton contre une épée et une armure ? Pauvres fous ! Rendez-vous et vous aurez la vie sauve ! » Beugla-t-il sans succès. Les deux hommes continuèrent de l’attaquer avec l’énergie du désespoir.

 

Tant pis pour eux, se dit le soldat avant de transpercer le plus jeune de son épée. L’autre homme hurla après son ami et l’attaqua de plus belle. Ichkhan s’apprêta à le tuer à son tour mais une épée vint lui transpercer la gorge et l’homme s’affala à terre.

 

« Je n’avais pas besoin d’aide » maugréa-t-il à son frère d’arme.

- De rien » répondit  Nazar avant de faire demi-tour pour monter au dernier étage.

 

Ichkhan reprit son souffle et le suivit puis se rappela qu’il n’avait pas terminé de vérifier toutes les chambres. Il fit donc demi-tour et les fouilla une par une mais elles étaient toutes vides. Ichkhan s’apprêta à rebrousser chemin avant de sentir un frisson dans sa nuque. Par reflexe, il fit un pas de côté et échappa de justesse à la barre de fer qui se fracassa contre le mur. Le soldat ne réfléchit pas et répliqua directement. Son épée vola et transperça son ennemi de part en part. Les mains tremblantes, Ichkhan regarda le sang de sa victime dégouliné sur sa lame de son épée avant de remonter vers son visage. C’était une jeune fille, une Kuvraks qui ne devait même pas avoir quinze ans. Son visage aurait été encore beau s’il n’avait pas été déformé par ses larmes et figé dans l’horreur. Ichkhan lui avait ouvert le ventre en deux, la tuant sur le coup. La lame glissa et le corps retomba lourdement, fermant la porte du placard d'où elle était sortie.

Ichkhan fut pris d’un haut le cœur et mis plusieurs minutes et plusieurs respirations profondes pour s’en remettre. Ce n’était pas sa première victime, loin de là mais c’était la première femme…non ce n’était même pas encore une femme, elle devait être à peine plus âgée que sa sœur. Ichkan se demanda pourquoi elle ne s'était pas simplement rendue avant de se rappeler qu’à la capitale, tout Kuvraks devait être tué sur le champ... Il n’osait plus regarder le visage de sa victime et préféra faire demi-tour, s’éloignant de l’odeur de sang qui emplissait peu à peu l’air puis termina de monter l’escalier.

Il arriva dans les combles du bâtiment ou il retrouva Nazar et son capitaine, se tenant devant une demi-douzaine de cadavres dont trois Kuvraks. Un seul homme était encore vivant mais plus pour longtemps, le capitaine l’ayant blessé au torse et coupé la main droite. L’homme gisait le long du mur en tenant son moignon ensanglanté.

Le capitaine lui pointa le bout de son épée sur la gorge.

 

« Tu es le dernier qui reste. Maintenant, dis-moi tout ce que tu sais sur le Clan du Dragon. Je veux savoir qui vous êtes et je veux surtout savoir qui est votre chef et où il se planque. Répond moi et tu vivras…peut-être. »

 

L’homme déglutit et s’appuya sur sa main restante pour réaffirmer son assise. Il prononça quelques paroles mais trop bas pour être entendues.

Le capitaine se rapprocha de son prisonnier et insista:

 

« Plus fort, j’entends rien ! »

- J’ai dit, va en enfer ! » cria le rebelle en empoignant un poignard caché dans son dos.

 

Il attaqua le capitaine et l’aurait égorgé si Ichkhan ne l’avait attrapé par l'épaule pour l'éloigner à temps. Le poignard entailla l’épaule et le torse du capitaine avant que Nazar ne se précipite à son tour pour achever le rebelle.

Bien qu’il ne fût pas atteint mortellement, le capitaine saignait abondement et Ichkhan déchira sa cape pour en faire un garrot autour de son torse. Il le souleva et aidé de Nazar, ils descendirent les étages. Le rez de chaussé était toujours fermement maintenu par leurs frères d’armes qui vinrent les aider en apercevant leur capitaine blessé. Ils le firent assoir sur l’escalier et Ichkhan ordonna à un des soldats en faction devant la porte d’aller chercher un brancard et un médecin. Le capitaine empoigna le bras d’Ichkhan et le força à se baisser près de lui pour l’entendre.

 

« Ces immondes pourceaux…je les veux morts tu m’entends ! Morts ! Tous ! Jusqu’au dernier ! Jusqu’au…» Et il s’évanouit.

 

Ichkhan se releva et Nazar lui demanda quels étaient les ordres du capitaine. 

Son visage livide montrait pourtant qu'il les avait parfaitement entendus. Ichkhan se retourna vers ses frères d’armes qui le regardaient avec appréhension et attente. Il regarda ensuite les prisonniers toujours accolés au mur, leur effroi bien visible sur leurs visages. Il réaffirma sa prise autour de la poignée de son épée pour empêcher sa main de trembler et pria les dieux en espérant ne pas commettre une grosse erreur.

 

« On les emmène à la prison pour interrogatoire, tous! Et pour couper court à toute protestation, il ajouta: tuez ceux qui résistent."

 

Nazar donna fermement le ton, suivit par ses frères d'arme et par la garde, vidant le hall en quelques minutes. Ichkan observa la salle silencieuse en se demandant encore si il avait bien agit. Il repensa à la jeune Kuvraks morte sous son épée et pour la première fois depuis son arrivée à la capitale, ses convictions qu'il pensait inébranlables commencèrent à vaciller.

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