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 Chapitre sept : Tumultueuse princesse

Se doutant que la princesse lui préparait un mauvais coup, Rigel avait claqué la porte d’entrée tout en restant dans le salon. Elle se faufila alors à pas de loup jusqu’à la chambre, juste à temps pour voir la jeune fille se faufiler à travers un passage secret.

C’est donc par là qu’elle disparait !  pensa la soldate.

Voilà des mois que tout le palais passait quotidiennement son temps à courir après la fougueuse princesse qui disparaissait sans explication. Las, Le général Korven lui-même prétexta une protection rapprochée pour surveiller la jeune fille. Cela faisait presqu’un mois que Rigel avait été placée au service de la princesse et elle la soupçonnait de lui avoir échappée au moins cinq fois, donc deux fois pour plus d’une heure.

Obéissant aux ordres, Rigel entreprit de la suivre sans se manifester, pour découvrir ce que cachaient ses fuites quotidiennes. Leur plus grande crainte était qu’elle arrive à se faufiler hors du palais. La princesse n’en était jamais sortie et il était hors de question que cela change pour le moment.

Rigel bougea la tapisserie qui s’était remise en place après que la porte se soit refermée et mis une bonne minute à découvrir le minuscule bouton dissimulé dans une décoration murale. Elle se faufila à son tour dans le trou et accéléra la marche pour rattraper la jeune fugueuse, le plus silencieusement possible. Elle entendit bientôt ses pas et le frottement de sa robe et n’osa s’approcher plus près, de peur de se faire repérer.

La princesse avançait d’un pas assuré dans ce vieux et étroit passage qui permettait sans doute aux servantes de ravitailler sans être vues les grands poêles massifs qui occupaient chaque pièce du palais. En entendant divers bruits et éclats de voix, Rigel devina que le passage longeait certaines pièces destinées aux domestiques, plus bruyants que les nobles séjournant au palais. Celui-ci, bien que gigantesque, était d’ailleurs vide aux deux tiers, la noblesse s’étant peu à peu éloignée de la cour depuis que la reine n’était plus capable d’assurer vivres et plaisirs. Seul restait ses plus proches conseillers et ceux restant près du trône, pressentant sa prochaine libération. Rigel avait entendu la princesse les surnommer de « vautours bornés et cupides », vocabulaire peu appréciable pour une personne de son rang mais Rigel ne pouvait lui donner tort. L’ambiance dans le palais était donc triste et sournoise, laissant la jeune fille seule pour représenter la lumière presque éteinte de ce qui fut la plus grande dynastie de ces derniers siècles.

Et cette lumière passait ses journées à fuir dans les souterrains et passages secrets du palais….

Quand le général Korven, son vénéré et effrayant patriarche avait lâché sa colère sur ses soldats incapables de surveiller une jeune fille de bientôt dix-sept ans, elle avait su l’allécher en lui promettant de lui faire part de tout ce qu’elle pourrait découvrir sur ses escapades princières. Mais après ces quelques semaines passées à ses côtés, Rigel en était venu à apprécier la jeune princesse qui se languissait dans ce palais sinistre. Elle continua de suivre la princesse Sarishia qui prit plusieurs bifurcations, toujours avec assurance. Tout en la suivant, Rigel avait essayé de repérer leur direction et son constat la laissa perplexe ; au lieu de s’éloigner du palais, elles s’y enfonçaient de plus en plus profondément.

Rigel commença alors à comprendre…Voilà une bonne semaine que la princesse se rendait quotidiennement à la porte du sanctuaire pour y voir la reine alitée mais sans aucun succès. Ce sanctuaire se trouvait en plein cœur du palais et sa porte d’entrée était censé être son seul accès…mais était-ce vraiment le cas ? La princesse aurait-elle découvert un passage y menant ?

Déserté de la plupart de ses prêtres, le sanctuaire servait maintenant plus volontiers de lieux de réunions privés pour la reine, son général, et son conseil. Que faire si son père s’y trouvait justement en ce moment ?

Mais le devoir royal passe avant le devoir familial… 

Cette pensée l’apaisait autant qu’elle la tourmentait.

Le devoir royal…oui mais si son père se tient à la droite de la reine ? N’est-il pas aussi puissant que la princesse qui se tient péniblement à sa gauche ? Mes dieux, faites que je n’ai jamais à faire ce choix 

Et pourtant elle savait qu’un jour viendrait où ce choix devra être fait. Mais pas aujourd’hui, non il était beaucoup trop tôt pour ça.

Plongée dans ses funestes pensées, Rigel n’avait pas vu la princesse s’arrêter pour actionner un nouveau mécanisme dissimulé. Le tunnel se terminait par un de ces fins grillages qui servaient de décorations à l’intérieur des pièces mais  laissaient aussi pénétrer une douce lumière dans le passage. La princesse ouvrit la porte grillagée en douceur, le plus silencieusement possible puis en sortit rapidement. Après avoir attendu quelques minutes, Rigel la suivit sans mot dire, refermant doucement la petite grille qui faisait partie d’un somptueux décor mural, dans un coin de mur. Rigel vit la princesse se faufiler dans un autre renfoncement et la soldate se plaqua rapidement contre le mur, espérant rester dissimulée. Elle attendit encore un peu et en profita pour repérer les lieux.

Au sanctuaire, Rigel n’y avait pénétré quand de très rares occasions. Elle y reconnu pourtant le hall principal et les grandes portes qui menaient à la crypte, aux appartements royaux et aux salles de conseil. De l’autre côté de la salle se trouvaient la porte d’entrée où la princesse attendait il y a à peine une heure ainsi que la porte menant à la salle du trône.

Au temps des jours heureux, le sanctuaire brulait d’activité entre les prêtres, les serviteurs, les pèlerins et les nobles venus demander conseil ou justice. Le hall resplendissait alors, ses innombrables miroirs reflétant le lustre des riches habits des visiteurs. Maintenant que l’état de la reine y imposait le silence absolu, les dorures et les miroirs s’étaient ternis, les bougeoirs étaient maintenus à leur plus petite lueur et les vitraux étaient couverts de lourds draps noirs. Ce hall qui était autrefois le cœur du palais était devenu aussi sinistre qu’une prison. Et encore, Rigel avait visité la prison et celle-ci était plus animée…

Elle tenta un regard au-delà du mur et vit la princesse traverser le hall pour se rendre à la grande porte de gauche, où se trouvaient les appartements royaux.

Rigel chercha une cachette moins exposée puis y attendit le retour de la princesse en se demandant ce qu’elle ferait par la suite. Finalement, quoi de plus naturel qu’une jeune fille ai envie de voir sa mère ? Il n’y avait rien de louche à cela…il était même rassurant que la princesse n’ai apparemment pas l’intention de quitter le palais.

Rigel la vit sortir quelques minutes plus tard. Son air abattu semblait montrer que ces retrouvailles n’étaient pas celles désirées… Peut-être la reine dormait-elle trop profondément pour entendre les appels de sa fille unique ?

Rigel s’étonna du silence complet du hall ; on n’entendait nuls servantes ou prêtres…Il fallait pourtant bien quelqu’un pour administrer les soins à la reine. La soldate pensait que la princesse reviendrait sur ses pas mais au contraire, elle retraversa le hall pour se diriger vers la porte de droite, celles donnant sur les chambres de conseils. Elle fit cependant une courte pause devant la porte du sanctuaire devant laquelle trônait une statue du roi Balaam, le père de la princesse Sarishia.

Tout serait bien différent s’il était toujours là.

On entendait souvent cette phrase pensée par la noblesse, affirmée par le peuple. Il est vrai que le roi Balaam avait su apporter un vent de paix et de modernité sur tout le pays. Bien que Rigel n’avait que cinq ans à sa mort (la pauvre princesse n’avait elle-même que seize mois), elle en avait souvent entendu parler. Le bon roi avait été cruellement assassiné par son bras droit, l’ancien grand général Yaran Bel’Gan…semant la rébellion et le chaos dans tout le pays. Son père, Korven Da’Yan, alors second de  Yaran Bel’Gan, avait réussi à tout remettre en ordre grâce à ses forces armées et tenait maintenant le pays d’une main de fer…

La princesse se tenait devant la grande porte de droite mais plutôt que de l’ouvrir, elle se pencha sur le côté et appuya sur le mur, laissant entendre un nouveau léger cliquetis.

Mais combien y-a-t-il de passage dans ce palais ? , s’étonna Rigel. Elle hésita à la suivre et tergiversa pendant quelques minutes. Mais ne voyant pas la princesse revenir, elle se précipita silencieusement vers le passage, craignant que la jeune fille lui ai échappée.

Seulement, quand Rigel s’apprêta à cliquer sur le petit bouton qui ouvrait le passage, la grande porte s’ouvrit en même temps et Rigel eu juste le temps de distinguer les voix de son père et de ses conseillers avant d’être happé par le passage. Elle se retrouva à genoux, au pied de la princesse qui lui plaqua vigoureusement la main sur la bouche pour la faire taire.

Plutôt que passage, il s’agissait surtout d’un couloir très étroit et très court, caché derrière les décorations murales et les deux jeunes filles étaient si serrées qu’elles ne pouvaient plus bouger un membre. C’est donc en position très inconfortable que Rigel entendit son père terminer sa discussion avec ses conseillers. Elle pouvait les distinguer à travers le fin grillage de la cachette et les reconnut tous sauf l’homme qui parlait directement au général.

Un tenmissien…que vient-il faire ici ?,  se demanda la soldate.

Elle se dégagea lentement de la main de la princesse et essaya de se redresser pour mieux regarder à travers le grillage. Mais elle remua également la poussière du sol et ne put s’empêcher de tousser. Directement, les hommes du hall s’interrompirent et un long silence se fit entendre. Rigel entendit une seconde fois quelqu’un tousser.

« Il ne s’agit que de moi, veuillez m’excuser. »

Rigel reconnu la voix suave de Chahan Tensi, le jeune second de son père. Les conseillers se détendirent, certains allant jusqu’à émettre une petite blague sur la toux du jeune homme mais leurs moqueries empêchèrent Rigel d’entendre la conversation sérieuse qu’entretenait le général et le tenmissien. Alors qu’ils quittaient le hall, Rigel eu soudain la vue obstruée ; le colonel Chahan s’était nonchalamment rapproché du mur, sa main s’approchant du grillage…si prêt que Rigel pouvait même constater les gouttelettes tombant de ses vêtements humides.

« Et bien Chahan ? demanda un des conseillers. Nous allons partir sans vous !

- Je viens, je viens »

Et Ils sortirent tous par la grande porte d’entrée.

Les deux jeunes filles, attendirent un long moment avant de souffler. Rigel s’apprêta à rouvrir le passage mais elle fut agrippée par la princesse qui la maintint à terre sans peine, tellement Rigel était serrée dans le passage.

« Ne croit pas que j’en ai fini avec toi ! » cracha la princesse.

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