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Chapitre huit : Promotion

Les cadavres gisaient à terre, leur sang remplissant lentement les interstices des pavés. Sur les cinq morts, quatre  étaient des Kuvraks et avaient donc été mis à mort sans possibilité de rédemption, comme le voulait la loi. Le cinquième était un humain qui avait tenté de les en empêcher ; il avait donc payé sa trahison de sa vie.

Pauvre fou, avait pensé Ichkhan en le transperçant de son épée. Le traitre avait bredouillé quelques mots avant de rendre son dernier soupir et de rejoindre ses alliés dans l’après-vie. Il gisait maintenant aux pieds du jeune soldat dont l’épée dégoutait encore de sang.

« Bon travail soldats ! Maintenant nettoyez moi ça avant que les badauds n’envahissent ces rues puantes ! Brailla le lieutenant. Rendez-vous ensuite dans vos quartiers où je veux un rapport complet de cette mission. Et plus vite que ça ! »

Le grand homme lourdement caparaçonné se retourna ensuite vers Ichkhan.

« Toi par contre tu viens avec moi. »

Et sans plus d’explications, il partit d’un pas rapide vers leurs bâtiments, laissant le jeune soldat courir après lui, non sans une pointe d’inquiétude.

C’est sous une pluie battante qu’ils dévalèrent les deux lieux de voies pavées qui les séparaient des bâtiments militaires du cinquième niveau. Sans ralentir un instant, le lieutenant poussait sans pitié tout badaud qui croisait son chemin.

La première fois qu’Ichkhan était arrivé à la capitale, il avait été très heureux d’apprendre qu’il était directement assigné au cinquième niveau de la ville. Seuls les meilleurs de l’armée servait au premier niveau, ou trônait le palais royal et la plupart des soldats commençaient au septième niveau avant de lentement monter les échelons de la hiérarchie et donc de la ville.

Le cinquième niveau de la ville était cependant beaucoup plus pauvre, sombre et dangereux que le croyait le jeune soldat et il ne mit pas longtemps à apprendre qu’un fils cadet de duc comme lui aurait dû être directement assigné au deuxième, si pas au premier niveau de l’ordre militaire. Le cinquième niveau n’était occupé que par des hommes du commun ayant réussi tant bien que mal à se distinguer pendant leurs années de service. Il était donc non seulement le seul noble de son bataillon mais aussi le plus jeune… mais aussi de loin le plus doué, ce qui ne lui avait en rien attiré les faveurs de ses frères soldats.

Tout en suivant son chef, il observait les badauds et leurs misérables maisons et boutiques. Était-ce son imagination ou tous le regardait avec un visage haineux ? La même haine, le même mépris qu’il avait lu dans le visage de ses nouveaux frères soldats quand il s’était présenté à eux.

Ichkhan Bel’Gan… Son nom qui faisait force de loi sur les terres de son père faisait surtout force de haine dans la capitale.

Ils étaient enfin arrivés devant la herse d’entrée de la caserne. Les gardes l’ouvrirent dès qu’ils aperçurent le plus haut gradé de la caserne et Ichkhan pressa le pas avant qu’ils ne décident de la refermer sur lui… La herse tapa le sol avec fracas alors qu’il n’avait même pas fait deux pas dans la cour. C’est avec un frison qu’Ichkhan suivi le lieutenant jusqu’à son bureau et il ne put s’empêcher de repenser aux derniers mots de ce traitre mis à mort quelques minutes plus tôt.

« Longue vie au roi. »

Le lieutenant entra puis alla s’assoir derrière son bureau. Ichkhan se tint devant et se mit au garde à vous. L’homme, grand et corpulent, griffonna quelques mots sur des parchemins avant de se souvenir de sa présence.

« Repos soldat. »

Ichkhan obéit mais était bien incapable de se détendre. Le lieutenant le scrutait d’un regard d’acier et s’abstient encore de tout commentaire pendant un moment avant de se replonger dans ses papiers.

« Ichkhan Bel’Gan, fils cadet du seigneur Osman Bel’Gan, Duc de Van’Gan et gouverneur de la province de Bâ. »

Le ton était celui d’une constatation et personne, surtout pas le lieutenant n’ignorait que le jeune homme descendait d’une des plus illustres et anciennes familles du royaume. Aussi ne répondit-il rien et continua d’attendre.

« Et neveu de Yaran Bel’Gan, ancien chef des armées et traitre ignoble qui versa le sang de feu notre roi. »

Ichkhan ne put empêcher ses mains de trembler. Nous y voici,  pensa-t-il. La fameuse raison qui lui valait tout ce mépris et ce manque de considération et qui l’empêcherait sans doute à jamais d’un jour faire briller son nom.

Si seulement il n’avait pas existé…Puisse ma haine lui donner mille souffrances supplémentaires dans l’enfer où il git.

Le maitre de la caserne continua de l’observer et le jeune homme comprit que son avenir se jouerait sur ses prochaines paroles.

 « Mon lieutenant, mon oncle fut un félon qui a plus que terni la réputation de mon illustre famille. Je suis venu à la capitale pour servir mon pays, ma reine et pour regagner l’honneur perdu de mon père. Je suis ici pour faire mes preuves et détruire cette bande de pourceaux qui ont trempé dans l’assassinat de notre roi bien aimé. Laissez-moi regagner la place qui m’est du et je vous jure que mon épée rougira du sang de tous les traitres qui auront le malheur de croiser mon chemin. »

Ichkhan reprit son souffle et attendit dans le silence et l’inquiétude. Il s’était laisser aller sur ses dernières paroles et avait peur de paraitre trop présomptueux.

Fort dans son silence, le lieutenant continua de le scruter de ses yeux glacés. Puis vint un rictus avant qu’il n’éclate d’un rire gras et fort.

« Bien bien mon garçon, très bien…tu as réussi à me convaincre…pas par tes belles paroles digne d’un jeune noble gâté mais bien par tes actions. Tu n’as pas hésité une seconde avant de tuer ces traitres, comme le doit un bon soldat du royaume. La loi ne demande aucune compassion ni aucune digression comme dirait notre cher grand général… Je t’avoue que beaucoup de mes supérieurs ont vu d’un mauvais œil ton arrivé en ville, de peur que tu ne t’associes avec les félons. »

Choqué, Ichkhan s’apprêta à répliquer mais le capitaine le stoppa d’une main.

« Tu m’as convaincu mon garçon, inutile d’en dire plus. C’est le grand général Korven lui-même qui a approuvé ton arrivé. Les Bel’Gan sont peut-être la plus illustre famille qui soit de notre royaume. Son nom a été entaché plus d’une fois par des traitres mais à chaque fois, un cousin ou un frère s’est juré de redorer son blason et les exploits de ta famille sont bien plus nombreux que ses méfaits… Notre généralissime souhaite que ce nom sorte de l’ombre et place de grands espoirs en toi…alors ne le déçoit pas. »

Ces derniers mots furent lourds de menaces mais rien qui n’entacha la joie du jeune soldat. Il était bien connu que le grand général Korven était avare de seconde chance. Mais Ichkhan n’en demandait pas plus et avait hâte de prouver son utilité et son bon service. Être bien vu du généralissime, s’était être bien vu de la reine, soit la plus grande distinction que pouvait souhaiter un soldat.

«Bien je viens de signer la paperasse pour t’attribuer au deuxième niveau…Tu seras placé sous les ordres direct du lieutenant-colonel Stolas, qui fait partie des proches du généralissime…alors prend garde à lui obéir ! Je prends beaucoup de risque à te faire monter trois niveaux d’un coup, c’est ma tête que je mets en jeu alors gare à toi si tu fais le con car je t’assure que tu quitteras cette ville en sautant et sans corde ! »

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