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Chapitre neuf : le clan du dragon

Jian mena la charrette dans la grande rue qui reliait les portes du Pont Mort à la place centrale. Il était assez simple de se repérer dans la ville : les sept niveaux se superposaient, du plus grand au plus petit, du plus pauvre au plus riche. Chaque niveau était doté d’une « place centrale », où se trouvaient les bâtiments administratifs, la caserne et le sanctuaire. Si les trois premiers niveaux du bas étaient libres d’accès pour tous, il fallait bénéficier de laisser-passer pour pouvoir accéder aux niveaux supérieurs ; les quatrièmes et troisièmes niveaux étant réservé à la bourgeoisie et les deux premiers à la noblesse.

« Attendez-moi ici, lui dit Siman, je vais chercher l’informateur. »

Jian acquiesça et déplaça le chariot sur le côté. Kari, qui s’était assise à côté de lui, regardait les lieux avec appréhension.

« Alors voici la fameuse capitale humaine…constata-t-elle, je l’imaginais plus…grandiose et plus propre.  

- Oui, pour les quatre niveaux du dessus, précisa Jian mais ici, c’est ce qu’ils appellent « le bas peuple » ; les artisans, les ouvriers et ainsi de suite. Soit prudente ici, les soldats et les espions sont partout.»

Kari acquiesça avant de demander : « c’est qui cette statue ? »

Au milieu de la place siégeait une grande fontaine en marbre rehaussée par la statue d’un homme tenant une épée dans une main et une femme à l’agonie dans l’autre.

« Le roi Iklas et sa sœur, la sainte Dalindra ; expliqua Jian, Il rassembla les cinq anciennes nations pour n’en former plus qu’une à laquelle…

- …Il donna le nom de sa sœur morte en martyr, oui je me souviens, termina-t-elle, Nefer m’a souvent racontée cette histoire. C’est dans la même légende qu’il est écrit que les Kuvraks sont des monstres nés de la vengeance des dieux. 

- Effectivement

- Tu y crois toi qu’un peuple ai pu « naitre de la haine des dieux » ? Que les Kuvraks sont des humains déformés ? lui demanda-t-elle tout en fixant la statue.

- J’ai bien mon avis sur la question mais ce n’est ni le lieu ni l’endroit pour en faire un débat, Kari, répondit-il en scrutant les alentours, Le mot Kuvraks est tabou ici, tache de t’en souvenir.

- Oui, oui…

Siman revint, accompagné d’un autre homme qui les accueillit sans chaleur.

« Alors cette marchandise, laissez-moi voir ça, dit-il en haussant la voix et en scrutant le chariot, mouais ça ira, vous pouvez me suivre jusqu’à ma boutique. »

Et sans plus d’explication, il monta à l’avant du chariot pour guider Siman dans les ruelles.

« Il est pas très commode, souffla Kari à Jian qui avait laissé sa place au marchand.

- Il a réagi comme n’importe quel marchand nashien face à des nomades…mais il devrait changer d’attitude une fois qu’on sera arrivé sur place, enfin j’espère. » Répondit Jian.

Le marchand leur fit prendre des ruelles de plus en plus étroites et sinueuses, à peine assez large pour laisser passer la charrette. Les maisons, étroites et hautes étaient en bois et en torchis peint en différentes couleurs qui auraient égayé les ruelles si elles n’étaient aussi sales et dégradées. De nombreuses personnes vivaient à même la rue, des hommes mutilés mais aussi des femmes à moitié nue et des orphelins maigrichons. Jian vu Kari, dépitée, se terrer dans la caravane afin d’échapper à ces regards sans vie.

Kari ni ses autres compagnons n’avaient jamais vu une telle déchéance…certes il y avait des Kuvraks plus pauvres que d’autres dans la cité mais tous arrivaient à se nourrir et vivaient heureux…aucun ne terminait sa vie dans la crasse et la boue.

Jian sentit la charrette ralentir et prendre un virage. Il jeta un coup d’œil au dehors et distingua une façade rouge vif aux fenêtres grillagées. Ils entrèrent dans une cour en pavés, bien plus proprette et rangée que le reste de la rue. L’endroit était aussi brillement éclairée par de grandes lanternes. D’une fenêtre ouverte, il vit une femme se pencher pour les regarder arriver. A ses seins nus et à la longue pipe ouvragée que tenait la femme et qui dégageait une étrange fumée bleue, il comprit rapidement que ce bâtiment cachait un bordel.

Le prétendu marchand les fit entrer dans une sorte d’hangar où, rejoint par trois hommes ils commencèrent  à desceller les bœufs et amener les marchandises. Quant à Siman, il délaissa les rênes pour leur faire descendre un long escalier de bois.

Ils arrivèrent dans une grande cave dont les murs en pierre et d’imposantes poutres en bois supportaient un haut plafond de bois. Des lanternes, accrochées tout le long des parois, apportaient une vive lumière à la pièce, complétée par un immense feu de cheminée.

La cave semblait servir de cuisine, de salle à manger et de salle de repos ; de grandes tables étaient disposées çà et là, certaines étaient couvertes d’ustensiles et de victuailles tandis que d’autres étaient entourées de banc où buvaient plusieurs hommes dépareillés.

Jian compta bien une vingtaine de personnes qui allaient et venaient entre leurs différentes occupations. Les plus proches de l’escalier les dévisagèrent quand ils les entendirent et il y distingua déjà trois ou quatre Kuvraks, facilement reconnaissable par leurs longs cheveux blancs tressés. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour qu’ils passent le mot sur les nouveaux arrivés et que toute la salle se fige dans un profond silence, uniquement interrompu par les craquements de bois brulés.

Siman passa devant et entreprit de les présenter d’un air enjoué ;

« Mes amis, voici les envoyés promis de Vere Celibel ! Voici Jian, sa sœur Elody et… 

- Ce ne sont que des gamins ! L’interrompit un homme grand et dont le torse nu était tout en muscle. Les vieillards de la cité se moquent de nous ?! »

Les discussions reprirent de plus belle, entre ceux qui renchérissait la remarque de l’homme musclé, ceux qui regardaient le groupe sans commentaire et ceux qui reprenaient tout bonnement leur activité. Jian remarqua une jeune Kuvraks se retirer vers l’arrière de la salle et monter l’escalier d’une mezzanine qu’il n’avait pas encore remarquée, tant elle était haute et plongée dans l’obscurité.

« Du calme Darkhan, répliqua Marten de méchante humeur, Ce n’est pas comme si ils pouvaient nous envoyer un bataillon entier de guerriers Kuvraks à travers champs ! Ce sont bien des gamins mais ils ont fait leur preuve alors fait avec ou dégage le chemin ! »

Jian s’empêcha péniblement de déglutir devant les deux hommes du clan qui se toisaient. Après avoir sympathisé avec Siman et Marten, il avait cru qu’ils seraient bien accueilli par le clan mais peut-être était-il encore trop naïf…

Avant même que Jian n’ai pu penser à un discours pour apaiser les esprits, Le grand homme, Darkhan éclata d’un rire tonitruant et enserra Marten dans une étreinte digne d’un ours.

« Marten, mon vieil ami, vous m’aviez manqué toi et ta grande gueule ! 

- Ma grande gueule ? Tu peux parler, toi ! répliqua Marten en riant, Bon sang mon vieux, Ils ont mis quatre mois pour arriver ici et tu les accueilles en hurlant, évidemment que les pieux Kuvraks de la Cité nous prennent pour des porchers ! »

La remarque déclencha un éclat de rire général, autant dans les membres du clan du dragon que chez les compagnons de Jian. Profitant de la bonne humeur ambiante, Siman entreprit de terminer ses présentations ;

« Dooonc je disais, avant que cette brute de Darkhan ne nous agresse, toi tu ne m’avais pas manqué mon ami, voici le chef du groupe, Jian et sa jeune sœur Elody, suivit de Kari et de Diyien. Et pour ceux qui pensent encore que les honorables vieillards Kuvraks se fichent de nous…sachez que Diyien est le fils de Korson et donc un prince de la cité… »

Diyien ne put s’empêcher de s’agrandir devant les regards intéressés de leurs hôtes.

« …Et que Jian et Elody ne sont autres que les enfants de notre regretté et estimé Yaran Bel’Gan ! »

Cette remarque ci déclencha bien plus que de vagues intérêts ; Jian et Elody furent rapidement entourés d’une dizaine d’hommes et femmes allant chacun de leur commentaire, dans un charivari indescriptible.

« Par tous les dieux, ils sont en vie !

- Il lui ressemble le gamin, ça s’est sûr ! 

- Ça alors c’est extraordinaire ! »

Quant à Darkhan, il les regarda bouche bée avant d’écarter les autres à grand tour de bras pour s’approcher de Jian (qui ne put s’empêcher de faire quelques pas en arrière). Le géant lui empoigna les bras avant de le dévisager pendant une minute qui sembla à Jian une éternité.

L’homme finit par le relâcher avant de mettre à genou devant lui.

« Honte à moi de ne pas vous avoir reconnu, jeune seigneur, puissent les dieux me châtier pour mon insolence. Du temps du bon roi Balaam, j’ai servis pendant dix ans sous les ordres de feu votre père et je n’aurais jamais cru avoir l’honneur de rencontrer son héritier. C’est aussi un plaisir de vous rencontrer, ma dame, ajouta-il en se tournant vers Elody.

- Tout…tout l’honneur est pour moi » Répondit-elle en tentant une révérence maladroite.

Darkhan se leva et cria à l’attention des cuisinières ;

« Holà, femmes, nos visiteurs ont faim, qu’on apporte leur banquet de bienvenue. »

- Et si tu venais le chercher toi-même au lieu de gueuler, goujat ! Cria à son tour une Kuvraks potelée qui s’occupait des marmites fumantes 

-Sati, Ma femme » Commenta le grand soldat en faisant un clin d’œil, avant d’aller la rejoindre dans l’éclat de rire général.

Jian et ses compagnons se détendirent et s’installèrent sur une des grandes tables qui fit bientôt entièrement recouverte de plats en tout genre. Après leurs maigres repas froids des derniers jours, ils étaient plus qu’heureux de pouvoir manger à leur faim mais avant que Jian n’ai pu attaquer son premier plat, un Kuvraks aux cheveux courts vint se poster devant lui.

« Notre chef te demande, si tu veux bien me suivre… »

Soupirant en pensant à son estomac vide, Jian se releva et suivi son guide austère.

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